Les stations de ski ont été éprouvées par l’épisode de redoux brutal qui a touché la France dans les premiers jours de 2023. Les conséquences sur l’activité des ski clubs ont préfiguré ce qui pourrait bien devenir plus fréquent : le partage de la rareté des domaines skiables.
C’est en ces termes que Rémy Richard (directeur du centre interrégional d’entrainement et conseiller technique sportif) décrit la situation vécue depuis quelques semaines.
La fin de l’accès à la neige pour tous ?
On ne parle pas ici de l’augmentation des coûts d’exploitations des domaines skiables ou des conséquences fiscales de la loi montagne qui conduit à réduire à zéro, ou presque, les tarifs spéciaux des résidents à l’année. Le problème aujourd’hui posé est au-delà de la question économique.
Le très faible enneigement de fin 2022 et début 2023 a amené certaines stations à fermer complétement. D’autres à n’ouvrir que très peu de pistes. Il ne restait que quelques stations situées au-dessus de 1800 m qui ont pu ouvrir presque normalement.
Conséquence, le public très demandeur s’est concentré dans les quelques stations d’altitude qui proposaient un domaine à peu près convenable. Cet afflux de public, pourtant en période de basse saison, a saturé les pistes et entrainé un premier problème d’accès à l’espace de jeu. Certaines stations on interdit la pratique pour les jeunes des clubs locaux.
La question dépasse le traditionnel « qui paye ? » et devient « Comment accéder au terrain de jeu ? »
Une conjonction défavorable à un sport qui pèse lourd en termes de titres mondiaux et olympiques
Le changement climatique a entrainé un décalage de la période des précipitations. Là où les pôles espoirs et les groupes de haut niveau venaient s’entrainer en début de saison, ceux-ci doivent maintenant utiliser les simulateurs.
Ce travail supplémentaire de la neige a incité les responsables des stations à demander une participation au financement de l’eau et à la consommation énergétique de la station. A titre indicatif le coût de revient du mètre cube de neige de culture produit, est estimé à 4,5 euros par les grandes stations (eau + énergie). Celles qui disposent d’un domaine de haute altitude.
Ajoutez à cela l’augmentation spéculative des coûts de l’énergie et vous obtenez un cocktail mortel pour les clubs. Comme le dit Rémy Richard : « Le sport devient un client lambda ! Avec des exigences supérieures au client lambda. »
Là où les enfants du village pouvaient bénéficier de tarifs préférentiels, allant jusqu’à la gratuité, pour apprendre à skier, les gestionnaires des domaines verraient bien appliquer le tarif public. La contrainte économique les conduits à donner la préférence aux publics les plus lucratifs.
Cathy Raphoz, responsable du développement du ski loisir et de la compétition pour le comité Mont-Blanc, confirme que les politiques, du conseil départemental au mairies, soutiennent une filière sportive du ski. Les investissements sont là.
Quel est le problème alors ? « Il est qu’avant les exploitants venaient du village. Ce n’est plus vrai. Le ski n’est plus un intérêt partagé avec les stations. » On assiste à un paradoxe. Alors que les exploitants ont du mal à trouver des personnels qualifiés pour faire fonctionner les domaines, ils donnent le sentiment de fermer l’accès à la montagne aux locaux. La désagrégation des liens de l’économie locale devient une menace.
Des licenciés et des pratiquants soumis à une double contrainte
Si, comme on peut le penser, l’enneigement devient disparate en raison du réchauffement climatique, la pertinence de prendre une licence posera question. Si les ski clubs n’ont plus accès aux domaines, comment s’entrainer ? Les compétitions locales seront-elles menacées ?
L’achat des forfaits saison sera forcément remis en question par les pratiquants. Pourquoi dépenser plusieurs centaines d’euros pour skier moitié moins qu’avant ?
L’exemple Suisse à notre porte
En Suisse, dans valais, les clubs ont un accès garanti à 25 domaines.
En France, les concessions sont données aux exploitants sous forme de Délégation de Service Public ou de baux. Lors de chaque renouvellement, il y aurait probablement moyen d’inclure des clauses qui protègent la filière sportive. C’est un travail de long terme.
Pour cela, il faudrait que le monde sportif et les collectivités soient unis dans cette perspective. Aujourd’hui, avec 90 000 licenciés, la fédération et ses comités régionaux n’ont pas le poids nécessaire pour peser dans la balance.
Là où l’Union des Skis Clubs Alpins(1) revendique plus de 120 000 forfaits vendus chaque saison, le site des Domaines Skiables de France donne le chiffre de 53,9 millions de journées skieurs au cours de la saison 2021 / 2022. Le rapport de force est clairement en défaveur du ski associatif.
Une convergence d’intérêts
Mais le sport est aussi une formidable vitrine pour la montagne et pour les domaines skiables. Comme l’ont évoqué Rémy Richard et Cathy Raphoz, le tissu social et économique de la montagne s’est construit notamment autour de l’industrie et de la pratique du ski. L’économie de la vallée dépend pour beaucoup des touristes attirés par le ski, tout comme les domaines ont besoin de ce tissus local pour proposer un produit complet et de qualité.
Restera alors la question du coût. On ne peut en faire l’impasse. Les choses devront probablement évoluer et être négociées. La solution, pour être durable, devra s’entendre à l’échelle de tout le territoire.
Thierry Nauleau
(1) l’USCA négocie les tarifs des forfaits de groupe pour les ski-clubs loisirs.
Crédits photo : Thierry Nauleau et comité régional de ski du Mont-Blanc
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